
L'habitat ouvrier dans le site de production (XVIII-XIXe)
A partir du XVIIIe - XIXe siècle, le développement significatif des sites de production en manufacture nécessite l’emploi et l’accueil d’un nombre croissant d’ouvriers. Ces sites étant implantés à l’écart des bourgs, les exploitants doivent prendre l’initiative de construire sur place des logements pour leurs employés.
Ces constructions répondent au besoin évident de tenir à proximité du lieu de travail les ouvriers, de manière à ce qu’ils soient dans des conditions optimales de production dans une démarche parfois paternaliste (pas de long trajet le soir et le matin pour regagner son domicile, donc pas de retard et moins de fatigue, une présence sur site constante si nécessaire).
Ces logements sont soit des dortoirs intégrés à l’atelier, soit des appartements regroupés dans de petits immeubles.
Les caractéristiques principales de ces logements sont leur regroupement dans des bâtiments indépendants mais toujours sur le site de production, et une composition de plusieurs pièces pouvant accueillir l’ouvrier et sa famille.
Ces logements et leur généralisation constituent une avancée sociale considérable pour l’ouvrier, qui auparavant était logé de manière précaire dans des baraquements ou au sein de l’atelier.
Description :
Implantation du bâti
Les sites de production qui proposent ces immeubles de logements se trouvent toujours à l’écart des villages et des bourgs.
Les bâtiments de logements s’implantent dans l’enceinte du site de production. Ils sont liés à un ensemble immobilier constitué des lieux de production, des bâtiments de stockage, d’ateliers divers, des locaux administratifs, d’une infirmerie, d’une poste et parfois, du logement patronal.

1. Plan de situation

2. Schéma d’organisation
Les bâtiments de logements sont généralement disposés de manière à composer des espaces extérieurs lisibles, comme une cour, une placette. Par exemple, deux immeubles de logements peuvent être disposés face à face et avoir comme arrière-plan, les ateliers. Un immeuble de logements peut aussi être placé parallèlement aux ateliers.

3. Logements de ferme d’une demeure d’industriel, Aillevillers et Lyaumont (70)
4. Plans schématiques des dispositions possibles des différents bâtiments
Quelques-uns de ces ensembles, pensés par des architectes nationaux ou locaux, créent des dispositifs plus spectaculaires. Les bâtiments sont disposés de manière à composer une figure géométrique parfaite, appuyée par une symétrie. Ces principes permettent d’affirmer le statut singulier de ces fabriques.

5. Schématisation du plan de la Saline d'Arc-et-Senans (25)
|
Abords immédiats et annexes
Les abords des bâtiments sont en terre battue, parfois dallés ou pavés ; cette précaution permet d’éviter les projections d’eau et de boue sur l’enduit en pied de mur.
Les grands espaces communs (cour) sont en terre battue ou en graviers.
Certains espaces sont réservés au jardinage. Chaque logement dispose d’un jardin et d’un bûcher, l’ouvrier se consacre régulièrement à des tâches agricoles pour se nourrir ou se chauffer.
Les cheminements extérieurs peuvent compléter une figure géométrique composée par l’ensemble des bâtiments du site. Les cheminements constituent les diagonales d’un carré ou le rayon d’un demi-cercle. On rencontre ces intentions dans des sites majeurs conçus par des architectes.

6. Croquis de la saline d'Arc-et-Senans (25)
Les sites peuvent être enclos, la clôture et le portail sont alors des symboles représentatifs de la richesse et de l’importance du site et de son propriétaire.

7. Syam (39)

8. Arc-et-Senans (25)
|
Volumétrie générale
Leur volume est simple et homogène. Ce sont des constructions basses (un ou deux étages ainsi que des combles), relativement longues (10-50m), peu profondes (10-15m), et couvertes d’un toit à deux pans.
Ces immeubles peuvent être appelés longères.
La « barre » se plie parfois pour prendre la forme d’une équerre.
9. Scey sur Saône (70)
Ils regroupent plusieurs logements quasiment identiques, traversants, répétés et mis bout à bout, qui s’organisent perpendiculairement à la façade principale : le mur gouttereau. Cette composition donne un aspect répétitif aux façades. Les murs pignons restent parfois aveugles.

10. Baignes (70)
Les logements se composent d’une cuisine et d’une ou deux chambres en enfilade. Dans les combles sont généralement aménagés des dortoirs. Les logements peuvent bénéficier d’une cave ou d’un cellier.
Le système de distribution de ces immeubles peut être intérieur ou extérieur. Dans ce dernier cas, les logements du premier étage sont alors desservis par une coursive.
Les logements ouvriers sont multipliés et assemblés dans des immeubles. Le principe étant de pouvoir mettre le plus de logements possible par étage, il faut donc trouver des moyens de les desservir. Cette desserte permet d’établir des typologies. Deux solutions ont été développées, desservir par l’extérieur (croquis 1) ou par l’intérieur (croquis 2) et elles sont parfois combinées (croquis 3).

11. Croquis des logements et du mode de desserte.
|
Systèmes et matériaux de construction
Ces bâtiments sont construits selon des techniques traditionnelles. Les matériaux employés sont locaux. On utilise des pierres issues de carrières proches ou de l’épierrage du site, pour constituer la structure porteuse de l’édifice.
Celle-ci est composée de murs porteurs périphériques et de murs de refend. Les murs de refend divisent la longueur de la construction et reprennent le poids des planchers et de la charpente. Les pierres qui composent les murs sont des moellons grossièrement équarris et posés en lits parallèles. Les pierres étant gélives, elles sont liées entre elles par du mortier de chaux puis enduites.
Les murs sont enduits à la chaux ; cet enduit protège la maçonnerie des intempéries tout en permettant les échanges thermiques.
On réalise un chaînage en pierres de taille ou en moellons bruts aux angles de la construction. Le chainage permet de répartir efficacement les charges aux endroits où la construction est la plus sollicitée.
Dans les régions où le sol est argileux et les pierres rares, on réalise des structures à pans de bois. Cette structure est complétée par un remplissage en briques ou en torchis. Le torchis est une préparation à base de terre que l’on humidifie et à laquelle on peut ajouter de la paille. Cette préparation est appliquée sur un tressage de branches souples réalisé entre les éléments bois porteurs. Les structures bois et le torchis sont rarement laissées apparentes : un clayonnage ou un enduit à la chaux peuvent ainsi protéger la structure des intempéries.
Dans certains sites remarquables, les murs sont partiellement en pierres de taille. Pour économiser du temps et de l' argent, on réalise un mur composite dont les parois visibles sont en pierres de taille entre lesquelles on monte des moellons.
La pierre de taille est généralement une pierre dure, dégauchie, équarrie, et taillée pour devenir un parallélépipède. Un mur en pierres de taille est donc constitué de blocs de pierre sensiblement de même taille, montés les uns sur les autres en lits parallèles. Les joints verticaux sont généralement réguliers et fins. Les pierres sont liées au mortier de chaux.
Les murs en pierres de taille ne sont généralement pas enduits. Les pierres sont bouchardées et travaillées au ciseau.
|
Toitures
La toiture reste traditionnelle, principalement en longs pans, parfois en demi-croupes mais rarement en croupe. L’inclinaison des pans de toiture dépend de la région où est construit le bâtiment, de la surface à couvrir et des matériaux de couverture.
La toiture en demi-croupe permet d’éviter l’arrachement lié au vent.
Les débords de toiture sont souvent inexistants (0-40 cm).

17. Croquis des différents types de toiture
Le bois et les p ierres de lave ont été employés en couverture pour ces constructions sur des sites très anciens. Mais les tuiles plates, ou canal, ou encore en écailles, puis plus tard, mécaniques, sont préférées, car elles sont moins coûteuses, moins lourdes et délicates à poser.
Les premiers types de tuiles de terre cuite sont produits dans la région par des entreprises locales dans des communes au sous-sol argileux. Les productions des tuiles locales disparaissent en partie après la révolution industrielle et en quasi-totalité à la seconde.
18. Diagramme des pentes
|
Ouvertures

Même si, en fonction de l’époque de construction et de l’importance du site d’activité, la dimension des ouvertures peut varier, elles restent toujours rectangulaires, plus hautes que larges, mais leurs dimensions sont plus généreuses que celles des ouvertures des fermes. Ce changement de dimension révèle une nouvelle pratique sociale du logement qui n’est plus seulement fonctionnel mais devient un espace de vie.
19. Essertene et Cecey (70)

Les ouvertures composent un dessin de façade ordonné. Les alignements horizontaux et verticaux sont respectés. Dans les sites pensés par des architectes, comme à Arc-et-Senans (25), la symétrie est un élément de composition de façade supplémentaire qui s’harmonise dans un ensemble plus vaste.
Les fenêtres sont composées de deux vantaux ouvrants à la française en bois à simple vitrage. Les carreaux de vitrage sont assemblés et maintenus par des petits bois. Une deuxième fenêtre identique est parfois posée à l’intérieur pour se protéger du froid.
Pour créer les encadrements de portes et de fenêtres, différents matériaux sont utilisés : la pierre dure, le bois, la brique.
Ces matériaux sont employés pour former des arcs (plein cintre, en anse de panier, surbaissés, etc.) ou des linteaux droits, afin de créer l’ouverture.
20. Salines d’Arc-et-Senans (25)
Les encadrements de fenêtres et de portes peuvent être dans certains sites très soigneusement dessinés et taillés.
Lorsqu’ils ne sont pas en pierre de taille, ils sont enduits.
|
Matières, textures, couleurs
Les murs sont toujours enduits pour protéger la maçonnerie des intempéries. Traditionnellement, ils sont enduits à la chaux en trois passes. Il peut également se limiter à un enduit de hourdage.
- Le mortier de chaux servant à la construction du mur peut être appliqué en excès à la pose du moellon et rabattu sur la face de celui-ci. Ce geste peut être traduit comme un souci d’économie du matériau, et il constitue pour certaines constructions leur enduit fini.
- L’enduit en trois passes est réalisé au printemps et en été pour permettre un temps de séchage entre chaque couche. La première couche est le gobetis, qui est un passage grossier permettant de boucher les vides entre les moellons et de rattraper la planéité du mur. La deuxième couche est le corps de l’enduit, c’est une couche d’accroche. Enfin la dernière couche est la finition, elle permet de donner des variations d’aspect.
La texture des enduits peut être lisse ou rugueuse. Différentes techniques de mise en œuvre permettent de réaliser ces effets : le jeté au balai ou à la branche, pour les plus rugueuses; la finition à la taloche pour les plus lisses.
Les couleurs des enduits varient en fonction de la localité dans laquelle se trouve la construction. En effet, les pigments (à la base de la couleur) proviennent de terres ou de pierres spécifiques à un type de sol, par exemple les ocres du Jura. Cependant, le pigment étant onéreux dans les localités n’en disposant pas naturellement, les logements ouvriers restent de la teinte de la chaux et la couleur se limite à des petits éléments de décors.
Les enduits à la chaux sont entretenus régulièrement. Tous les deux ou trois ans, des petites reprises du corps d’enduit doivent être faites, ainsi qu’un badigeonnage.
Le point sur les enduits à la chaux

21. Les couches d’enduits
Les protections de façade par des éléments en bois sont peu utilisées, les bâtiments d’exploitation deviennent trop importants et les droits de chazal sont restreints au XVIIIème siècle.
Les chainages et encadrements de portes et de fenêtres en pierres de taille, présentent deux tailles :
- les parties destinées à rester apparentes sont bouchardées finement, les bords peuvent être travaillés au ciseau pour créer une bande lisse,
- les parties de la pierre de taille destinées à être enduites sont bouchardées plus grossièrement pour permettre à l’enduit d’accrocher.
|
Détails, particularités
Jusqu’au XIXème siècle, les enduits à la chaux sont les supports de décor que des moyens financiers limités ne permettent pas de réaliser en pierre. Généralement, les angles de bâtiments ainsi que les encadrements de portes et de fenêtres, qui sont enduits, sont soulignés par une couleur différente ou un lissage de l’enduit, représentant un encadrement simple ou un faux chaînage d’angle. Sur la longueur du mur, de faux joints peuvent également être tracés et engravés.
Ces éléments décoratifs, aujourd’hui souvent perdus, permettaient de donner une régularité à la construction que les matériaux mis en œuvre ne pouvaient pas rendre.
Certains ensembles, pensés par des architectes, ont une composition représentative du statut singulier de ces grands sites. Les volumes sont plus imposants, amplifiés par les dessins de façades, enrichis de modénatures (corniches, ordre colossal, arcatures, colonnes, frontons, etc.). Les compositions sont réglées, symétriques. Les matériaux employés sont nobles et finement travaillés.
|
Déclinaisons départementales :
25 - Doubs
La saline royale d'Arc-et-Senans (25)
La Saline royale d’Arc-et-Senans est un site remarquable dessiné par Claude Nicolas Ledoux en 1774-1779 alors architecte du roi. L’architecte conçoit la manufacture idéale dans un style néo-classique, il reprend un vocabulaire et des formes classiques qu’il transgresse (fronton sur colonnade, pavillon au toit mansardé, symétrie). Les proportions ramassées des bâtiments, les toits immenses descendant très bas, les éléments de décor surdimensionnés confèrent à l’ensemble un caractère plus massif et local, voire archaïque. Enfin, certains détails sont empreints du style Renaissance (colonne baguée).
Les bâtiments de logements se trouvent dans l’enceinte du site. Au nombre de quatre, ils sont en quart de cercle, de part et d’autre du bâtiment d’entrée qui comprend le logement des gardes. Ils sont spectateurs des deux bernes (ou bermes), de la maison du directeur au centre et de deux pavillons des commis aux extrémités. Le plan semi-circulaire radioconcentrique permettait un contrôle des ouvriers et limitait leur déplacement. Composés d’un pavillon central plus haut d’un étage et de deux ailes en rez-de-chaussée en pierre, ils sont surmontés de grands toits en tuiles à deux pans et croupes. Des lucarnes sont placées dans l’axe des ouvertures en rez-de-chaussée, avec une composition parfaitement symétrique. Sur les bâtiments de logements, comme sur les bernes, on note moins de modénature. Hormis le pavillon central, sur les deux ailes, seuls les angles et l’encadrement de la fenêtre centrale sont en pierres saillantes, harpées. La pierre de taille utilisée est la même que celle employée à Besançon (25).
Cliquez sur les photos pour agrandir et les voir toutes (2 photos)
|
39 - Jura
Forges de Syam (39)
Cliquez sur les photos pour agrandir et les voir toutes (1 photos)
|
70 - Haute-Saône
L'habitat ouvrier dans le site de production (XVIII-XIXe)
Retrouvez ici les maisons de Haute-Saône citées dans la partie Descriptions & éléments architecturaux
|
|
Nuage de tags
Collectivité territorialeCollectivité territorialeLe CAUE apporte son expertise et ses conseils aux collectivités territoriales en les accompagnant dans la définition et la concrétisation de leurs projets d’aménagement et de construction.
Il intervient le plus en amont possible avec un souci constant d'approche globale et de large concertation.
Conçue comme un outil d’aide à la décision, la mission de conseil du CAUE s'exerce en amont de l'intervention du maître d'Œuvre, en toute objectivité et dans l'intérêt collectif. CULTURECULTUREArt. 1er. - L'architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d'intérêt public[...]
Par la Loi 77-2 du 3 Janvier 1977 sur l'architecture qui les a institués, les CAUE participent à la sensibilisation du public à la qualité architecturale et urbaine, à la préservation de l’environnement en développant la culture et la pédagogie en matière d’architecture et d’urbanisme.
Ils contribuent ainsi à ouvrir le champ de la culture, afin que le grand public et les élus puissent partager leur connaissance du territoire et participer à l'élaboration du cadre de vie de demain. CAUECAUELe Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement est un organisme départemental créé à l’initiative du Conseil général et des services de l’État dans le cadre de la loi sur l’architecture de 1977. Investi d’une mission de service public, le CAUE est présidé par un élu local. Lire la suite... Conseil aux particuliersConseil aux particuliersOrganisme public de conseil, le CAUE apporte les compétences nécessaires aux personnes qui désirent construire pour apprécier à la fois la qualité architecturale de leur projet et leur bonne insertion dans le site. Le conseil ne concerne pas les seuls particuliers qui construisent, rénovent une maison ou ravalent leur façade mais aussi certains professionnels comme les agriculteurs, artisans... Le conseil du CAUE se situe très en amont de la maîtrise d'oeuvre, la connaissance du territoire et des projets des élus permettant de replacer le projet dans un paysage urbain ou rural. Cadre de vieCadre de vieLes CAUE ont pour mission de promouvoir et améliorer la qualité du cadre de vie :
- en suscitant des démarches de qualité dans les domaines de l'architecture, de l'urbanisme, de l'environnement et des paysages
- en favorisant la participation des habitants à l'élaboration de leur cadre de vie
|