La ferme en retour d'équerre

Cette ferme à trois travées se caractérise par une habitation se développant en retour d’équerre sur deux, voir trois niveaux. Cette typologie illustre l’aisance des agriculteurs à une certaine époque.
On rencontre ce modèle particulièrement en Haute-Saône, dans le Jura au niveau du Val d’Amour et dans le Pays de Montbéliard pour le département du Doubs.
Description :
Implantation du bâti
L’implantation de ces fermes varie en fonction du village dans lequel elles se situent.
Les travées agricoles peuvent être parallèles, légèrement en biais, ou perpendiculaires à la rue.
Dans tous les cas, on note la présence d’une cour agricole à l’avant des corps d’exploitation.
Ces fermes peuvent être alignées ou non, parfois mitoyennes, et ne composent pas de morphologie urbaine caractéristique.
Illustration 1.
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Abords immédiats et annexes
Dans tous les cas, on note la présence d’une cour agricole à l’avant des travées d’exploitation.
Cette cour peut être ouverte :
- sur deux côtés, dont l’un est accessible directement depuis la rue.
- sur trois côtés dont des annexes agricoles faisant face à la travée d’habitation. Le quatrième côté est ouvert directement sur la rue (Illustration 2).
- sur trois côtés, l’un deux étant le mur aveugle de la propriété mitoyenne.
Illustration 2.
Elle peut être fermée, on rencontre alors trois typologies différentes :
- elle est encadrée sur deux côtés par des bâtiments, les deux autres étant clos par un mur en pierre. On accède alors à la cour par un portail.

- elle est fermée sur trois côtés par du bâti, dont des annexes agricoles faisant face à la travée d’habitation, et, sur rue, par un mur laissant filer le regard. On accède alors par un portail.
Illustration 3.

- elle est fermée sur trois côtés par du bâti, dont des annexes agricoles faisant face à la travée d’habitation, et, sur rue, par un mur de grande hauteur qui abrite alors la cour de tout regard. On accède par une porte cochère.
Illustration 4.
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Volumétrie générale
Cette typologie se présente comme un volume en équerre encadrant sur un ou deux côtés une cour agricole. La partie exploitation est traitée modestement tandis que l’habitation est plus monumentale.
Les deux travées agricoles présentent des caractéristiques identiques à celles de la ferme bloc : un volume simple, couvert par un toit à deux pans, qui se développe sur un ou deux niveaux, l’étage permettant d’augmenter la taille du grenier ou du fenil.
llustration 5. Volumétrie générale
La distinction architecturale de la travée d’habitation se traduit de plusieurs façons :
- par un léger retrait des travées grange et étable. Dans ce cas, l’accès à l’habitation qui se développe sur un niveau unique se fait soit par la façade en gouttereau, soit par le retour d’équerre qui abrite alors uniquement une chambre et la couverture est une simple inclinaison de celle du corps principal.
- par une différentiation nette de l’habitation où le retour d’équerre est à l’avant de la façade agricole en gouttereau et présente un volume et une toiture en pignon. Cette aile qui se développe sur deux ou trois niveaux est couverte par un toit le plus souvent à quatre pans, plus rarement par un toit à deux pans.

Illustrations 6, 7.
- par un volume cossu qui s’inscrit dans la continuité du corps d’exploitation, l’habitation présentant alors un pignon en continuité de la façade en gouttereau. Ce modèle se rencontre principalement en Haute-Saône. On parle alors plus volontiers de maison à « tourelle ».
Illustration 8.
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Systèmes et matériaux de construction
Toutes les fermes de polyculture ont été construites à une époque où l'on se procurait les matériaux au plus près de chez soi.
La plupart du temps, on utilise des pierres, matériau de construction traditionnel dominant en Franche-Comté, issues des carrières les plus proches ou de l'épierrage des champs pour la structure porteuse de la maison, c'est-à-dire des murs épais, tels que les façades et les murs de refends, destinées à porter les planchers et la toiture. Ces pierres sont grossièrement taillées (l'équarrissage se fait au marteau) afin d'être posées en lits successifs et parallèles. Elles sont appelées moellons. Assemblées au mortier de chaux, de manière plus ou moins horizontale, elles créent ainsi des joints incertains. La solidité du mur est assurée par les boutisses, qui sont des pierres traversantes. La surface de ce parement est bosselée, irrégulière et poreuse.
Illustration 9. Moellons
Les parties destinées à supporter des efforts sont réalisées en pierre de taille, qui est non gélive : encadrements d’ouvertures, voûtes et parfois pierres d’angle. Ces éléments sont des signes apparents de la richesse des propriétaires. Cette pierre est choisie, taillée et sciée en carrière. Chaque bloc est prévu pour être monté à un endroit précis, déterminé à l’avance par un dessin appelé « calepin d’appareil ». La pierre de taille est posée à joints vifs,sans mortier. On trouve sur une même pierre un double traitement : un bouchardage fin pour les parties destinées à rester apparentes (environ 20cm), et grossier pour celles destinées à être couvertes par l’enduit.
Le bouchardage grossier permet à l'enduit de mieux adhérer au moellon. La quantité de pierre de taille sur une façade est un signe apparent de richesse.
Illustration 10. Technique de bouchardage et d'encadrement des baies en pierres de taille.
Illustrations 11, 12. Encadrements en pierre de taille

Pour des économies de moyens, les encadrements d’ouvertures pouvaient être réalisés en briques ou en bois.
Illustration 13.
Que ce soit le grès dans le Nord-Est, ou des calcaires de différentes tonalités dans les autres régions, il s'agit toujours d'une pierre poreuse, donc fragile. Il est alors nécessaire de la protéger, par un enduit à la chaux, des différentes agressions climatiques : pluies, vents, gel, chocs thermiques ..., tout en permettant les échanges thermiques
Pour respecter l'équilibre hydrique de l'ensemble, l'enduit de façade doit être à base de chaux, qui protège à l'extérieur et permet au mur d'évacuer l'humidité.
Illustration 14.

Illustration 15.
Le bois sert à la construction des planchers et des charpentes. Par souci d’économie, il peut parfois être utilisé pour les encadrements d’ouvertures.
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Toitures
Les deux travées agricoles sont couvertes par une toiture de type long pan, parfois avec croupe ou demi-croupe qui présente généralement une forte pente : 70 à 100 %, soit 35 à 45°. La toiture en croupe ou en demi-croupe est favorisée dans les régions où la bise souffle pour éviter des décollements de toitures.
La travée d’habitation présente trois grands types de toitures, chacun étant lié à une typologie particulière :
- L’habitation se distingue par un léger retrait des travées grange et étable. Dans ce cas, la couverture est une simple inclinaison de celle du corps principal.
- Le retour d’équerre est à l’avant de la façade agricole en gouttereau et présente un volume et une toiture en pignon. Cette aile qui se développe sur deux ou trois niveaux est couverte par un toit le plus souvent à quatre pans, plus rarement par un toit à deux pans. Le toit peut s’inscrire dans la continuité de celui du volume principal ou affirmer une autonomie par une couverture distincte du volume principal.
Dans ce dernier cas, la travée d’habitation peut former un volume plus haut que celui du corps d’exploitation en reprenant l’image de la tourelle.
- Par un volume cossu qui s’inscrit dans la continuité du corps d’exploitation mais est couvert par une toiture perpendiculaire, l’habitation présentant alors un pignon dans la continuité de la façade en gouttereau.
Quel que soit le cas, la façade gouttereau de l’habitation, le long pan, s’inscrit toujours dans la continuité du pignon du corps agricole.
Selon les régions, les débords de toiture peuvent être nuls ou quasi-nuls en façade (de 0 à 30 centimètres), ceux des pignons étant toujours réduits à leur plus simple expression, ou plus importants. Dans ce dernier cas, les débords sur console sont un prolongement de la toiture et se développent uniquement en façade principale, au-dessus des travées agricoles.
Illustration 16.
Le matériau de couverture est aujourd’hui la tuile qui, avant la révolution industrielle, était fabriquée localement à proximité des gisements d'argile.
On trouve plusieurs types de tuiles :
- des tuiles plates de formes et de tailles différentes,
- des tuiles mécaniques, plus épaisses et ondulées,
- plus rarement, de la tuile canal, caractéristique du Sud de la France : Pays d'Amance en Haute-Saône.
Toits pour la Franche-Comté (source DRAE Franche-Comté)
Cartes d'évolution des couvertures en Franche-Comté (source Musée de plein air des maisons comtoises, à Nancray, Doubs).
   
Illustrations 17 à 20. Quelques couvertures de Franche-Comté : tuiles canal, grandes tuiles plates, petites tuiles plates, tuiles mécaniques à losanges
Il n'est pas rare de trouver des épis de faîtage, éléments en terre cuite ou en tôle galvanisée posés sur le faîtage, souvent à la noue d'une croupe.
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Ouvertures
La ferme en retour d’équerre présente des ouvertures identiques à celle à trois travées de volume simple. Elle se caractérise en façade par ses ouvertures, que sont la porte de grange, la porte et les fenêtres de l'habitation, la porte et la fenêtre de l'écurie. Ces ouvertures représentent moins de vides qu'il n'y a de pleins sur la façade principale.
Dans cette typologie, les baies d'habitation sont généralement plus nombreuses que dans la ferme traditionnelle, et contrairement à cette dernière, le pignon est très souvent percé.
La porte d’entrée à l’habitation n'a qu'une unité de passage (porte simple), et présente le plus souvent, juste à côté, une fenêtre dissociée. Cette porte peut être vitrée en partie haute afin d'augmenter la quantité de lumière entrante. Elle est peinte ou en bois apparent lorsqu’elle est en bois "noble" (chêne, châtaigner, etc.).

Illustration 21.
Les fenêtres sont composées de deux vantaux ouvrants à la française, chacun découpés en trois carreaux égaux. Les volets ont été ajoutés au début du 20e siècle pour clore les ouvertures. Ils sont en bois peint et à persienne. Dans le Jura, les menuiseries sont traditionnellement peintes ; ce sont elles qui amènent les points de couleurs sur les façades.
La porte d'écurie est celle qui a les dimensions les plus modestes. Elle peut être simple (environ 0,8 m de large x 1,8 m) ou double à deux battants (environ 1,5 m x 1,8 m). Elle est souvent accompagnée d’une petite fenêtre qui éclaire et ventile l’écurie, c'est le fenestron. Le linteau de cette porte est en pierre de taille ou en bois, droit et peut être partagé avec celui du fenestron : la pierre à jumeau, les linteaux de la porte et de la fenêtre étant soutenus par un seul jambage en pierre. La porte est posée en feuillure sur le mur.
La porte de grange, percement majeur de la façade (environ 3 m de large pour 3,5 m de haut), est l’élément d’identification de la maison de polyculture. Elle est pour la plupart du temps arquée, soit en anse à panier, soit en plein cintre. L'arc est en pierre de taille. La porte est posée en fond de maçonnerie, laissant apparaître l’épaisseur du mur. La porte la plus courante se décompose en trois éléments : deux battants hauts et une porte d’entrée qui peut être divisée en deux éléments permettant d’ouvrir la partie haute pour aérer.
Il est possible de rencontrer des portes de grange à linteau droit, en pierre ou en bois.
On trouve des ouvertures marquant la fonction de stockage du fourrage à l’étage ou dans les combles : il peut s'agir soit d'une porte, soit d'une fenêtre. Dans les régions où le linteau de la grange est droit, il arrive souvent que cette pièce soit également l'assise de la fenêtre ou de la porte au-dessus. Cela s'applique à des linteaux en bois comme en pierre.
La date gravée sur une pierre, la plupart du temps sur un linteau, n’est pas toujours fiable, la pièce ayant pu être réutilisée pour une nouvelle construction.
Il n'est pas rare non plus de trouver des oculus sur les façades. Ils sont ronds, ovales ou rectangulaires, et éclairent les parties agricoles. Le volume d'habitation, peut également en présenter au niveau de l'escalier, ou des combles pour ventiler les greniers.
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Matières, textures, couleurs
L’enduit traditionnel est composé de trois couches : le gobetis, qui est une couche d'accrochage, la plus épaisse, puis le corps d'enduit, qui est un peu moins grossier, enfin la couche de finition. Pour des économies de moyen, seule la façade sur rue, celle de représentation, pouvait être couverte d’un enduit, les autres façades étant couvertes par un simple gobetis qui protège la pierre sans rechercher l'esthétique.
Au-delà de la protection, l’enduit a également une fonction esthétique, donnant à la façade un aspect soigné et coloré qui met en valeur les éléments en pierre de taille, et une fonction identitaire, sa coloration étant donnée autrefois par les sables issus des carrières les plus proches. Lorsqu'il n'y avait pas assez de sables, ou que ceux-ci n'avaient pas une texture suffisamment granuleuse, on pilait des tuiles, donnant ainsi à la façade une couleur très rouge. Ces couleurs, qui pouvaient donc varier d’un lieu à un autre, constituent l'une des caractéristiques d’une région naturelle, et personnalisent la maison.
Les enduits sont tirés à la règle et présentent une finition de type gratté fin, avec un tracé droit autour des baies.
Illustration 22. Les trois couches de l'enduit
Le point sur les enduits à la chaux
Les parties réalisées en pierre de taille et laissées apparentes sont des signes apparents de la richesse des propriétaires.
Pour des économies de moyens, les encadrements d’ouvertures pouvaient être réalisés en bois ou en briques, et les chaînages d’angle en pierre grossière. Un trompe-l’œil en badigeon dessiné sur l’enduit permettait alors de retrouver les codes de la maison bourgeoise.

Illustration 23.
Les menuiseries sont traditionnellement peintes et constituent la palette d’accompagnement. Leurs couleurs créent l’animation de la rue et donnent sa personnalité à la façade. Les pigments sont obtenus à partir des éléments disponibles : sang de bœuf, suie de cheminée, sulfate de cuivre… Seuls les bois nobles des portes d’entrée (châtaignier, chêne…) restent apparents.
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Evolutions, adaptations
L’ensemble des activités agricoles occupent la plus grande partie de la ferme qui est avant tout un outil de travail. Cette notion est importante pour comprendre la constante évolution des fermes en fonction du site, du type de production, du développement de l’exploitation et de la modification des pratiques agricoles.
La variété des formes ainsi produites au cours de l’histoire est une richesse du territoire et illustre la notion de patrimoine en mouvement.
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Déclinaisons départementales :
39 - Jura
La ferme en retour d'équerre
Retrouvez ici l'ensemble des exemples jurassiens évoquées dans la partie générale Description : pour savoir si une commune possède ces exemples de typologie, utilisez la fonction "Recherche par commune" du site.
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La ferme en retour d'équerre, Plaine Doloise
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La ferme en retour d'équerre, Bresse jurassienne
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La ferme en retour d'équerre, Finage et Val d'Amour
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La ferme en retour d'équerre, Vignoble-Revermont
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Nuage de tags
CAUECAUELe Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement est un organisme départemental créé à l’initiative du Conseil général et des services de l’État dans le cadre de la loi sur l’architecture de 1977. Investi d’une mission de service public, le CAUE est présidé par un élu local. Lire la suite... CULTURECULTUREArt. 1er. - L'architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d'intérêt public[...]
Par la Loi 77-2 du 3 Janvier 1977 sur l'architecture qui les a institués, les CAUE participent à la sensibilisation du public à la qualité architecturale et urbaine, à la préservation de l’environnement en développant la culture et la pédagogie en matière d’architecture et d’urbanisme.
Ils contribuent ainsi à ouvrir le champ de la culture, afin que le grand public et les élus puissent partager leur connaissance du territoire et participer à l'élaboration du cadre de vie de demain. Collectivité territorialeCollectivité territorialeLe CAUE apporte son expertise et ses conseils aux collectivités territoriales en les accompagnant dans la définition et la concrétisation de leurs projets d’aménagement et de construction.
Il intervient le plus en amont possible avec un souci constant d'approche globale et de large concertation.
Conçue comme un outil d’aide à la décision, la mission de conseil du CAUE s'exerce en amont de l'intervention du maître d'Œuvre, en toute objectivité et dans l'intérêt collectif. Cadre de vieCadre de vieLes CAUE ont pour mission de promouvoir et améliorer la qualité du cadre de vie :
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